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Pédaler sans voir : le vélo en tandem avec l’association ASLAA

Temps de lecture : 7 minutes

Faire du vélo, c’est bien plus qu’un simple exercice pour les membres de l’Association Sports et Loisirs pour Aveugles et Amblyopes (ASLAA) : c’est une affirmation de liberté, d’autonomie, et d’inclusion. Fondée en 1996 par Candide Codjo, une personne aveugle animée par la volonté de partager sa passion du cyclisme, l’ASLAA permet aux malvoyants et non-voyants de Paris de vivre l’expérience unique du vélo en tandem. Cette activité, qui pourrait sembler hors de portée, devient accessible grâce à l’entraide et la solidarité entre les cyclistes.

L’enjeu ? Démontrer que la déficience visuelle n’est pas un obstacle à la pratique sportive, surtout quand elle est vécue en duo, où la confiance mutuelle entre le pilote et son coéquipier malvoyant ou aveugle tisse le fil d’une aventure humaine et sportive profondément enrichissante.

Pour mieux comprendre cet univers où chaque coup de pédale est une conquête sur les préjugés et les limites physiques, nous avons échangé avec deux membres de l’ASLAA : son fondateur, Candide Codjo, et Christophe David, pilote et trésorier du club. À travers leur regard, découvrez comment le tandem devient un véritable vecteur d’intégration sociale et de dépassement de soi.

Origines et Mission d’ASLAA :

Pouvez-vous vous présenter et nous dire ce que veut dire « ASLAA » ?

Christophe David : ASLAA : Association Sports et Loisirs pour aveugles et Amblyopes. Ce qui veut dire que l’ASLAA s’adresse aux déficients visuels quel que soit le degré de leur handicap. Son objectif est d’inciter les déficients visuels (DV) à avoir une pratique sportive régulière et de pouvoir évoluer, pour quelques-uns, vers une pratique en compétition. Le tandem est l’activité principale, mais le club organise également un séjour ski chaque année, les DV étant guidés sur les pistes par la voix d’un guide. 

Pouvez-vous nous parler de la genèse d’ASLAA et de ses principales missions ? Comment l’association a-t-elle évolué depuis sa création ?

Candide Codjo : A cette époque, il n’y avait qu’un seul club de sports accueillant les personnes aveugles, il s’agit du CSINI : cercle sportif des invalides ; club militaire dépendant de l’hôtel des invalides ; structure rééduquant les blessés de guerre ; donc beaucoup de gens en fauteuil roulant. Estimant que Paris méritait amplement un club civil, j’ai donc décidé de créer cette branche au sein de l’association qui ne faisait que du ski alpin, un peu de marche et du patin à glace. Les faits m’ont donné raison.

Christophe David : Créé en 1976, l’ASLAA a démarré avec une offre de ski alpin puis de tandem en 1996. A l’époque, le tandem était très largement pratiqué, de nombreuses compétitions étaient organisées qui réunissaient souvent 30 à 40 équipages. Le club à connu son heure de gloire avec Olivier Dombale, sept fois champion de France, champion d’Europe et du monde et médaille de bronze aux JO de Pékin. Les effectifs de ce sport ont hélas beaucoup fondu depuis : certains clubs ne comptent désormais que deux ou trois équipages ; les compétitions sont moins nombreuses. L’ASLAA est sans doute le club le plus dynamique dans cette discipline. Tenant compte de ces évolutions, il met désormais la priorité sur le cyclotourisme (des sorties de 60 à 80 kilomètres le dimanche, quelques séances sur piste en hiver au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines) plutôt que sur la compétition, même s’il est toujours en quête de jeunes déficients visuels intéressés pour monter en puissance. 

Comment l’association a-t-elle évolué depuis sa création ?

Candide Codjo : A l’époque, je souhaitais un club dynamique ; fait de gens qui voulaient véritablement faire du sport voire de la compétition ; désir rapidement satisfait. De 1997 à 2019, nous avons évolué à un très bon niveau. Un jeune malvoyant arrivé au club en 2001, avec sa tête et ses deux cuisses, nous a vite montré de quoi il était capable. 7 fois champion de France ; champion d’Europe ; champion du monde et troisième à Pékin lors des jeux paralympiques. Troisième place qui valait très largement une première car ils se sont rassis à 100 mètres de la ligne sur un gros voilage du grand plateau les obligeant à terminer sur le petit plateau.

Expérience du Tandem :

En tant que tandemiste, quelle est votre expérience personnelle de la pratique du vélo en tandem avec des personnes malvoyantes ou non-voyantes ? Quels sont les plus grands défis et les plus grandes récompenses de cette activité ?

Candide Codjo : J’ai toujours aimé faire du vélo. Je l’ai découvert comme mes frères, à l’âge de 8 ans, dans la cour de la maison à Dakar ; arrivé en France à 12 ans, c’est à 15 ans que je découvre le tandem à l’école. A 25 ans, je pratique le cyclotourisme ; un dimanche, je parviens à mettre sur la route 17 tandems : très belle sortie du côté de Meaux en Seine et Marne. La soif de performances m’amène naturellement vers la compétition durant 20 ans avec de très bons résultats.

Christophe David : La particularité du tandem, c’est que les deux coéquipiers sont associés dans l’effort, à égalité. D’une certaine manière, le handicap est gommé. Le rôle spécifique du pilote est toutefois de décrire la situation, qu’il s’agisse d’une pratique de cyclotourisme (relief, difficulté technique liée à la chaussée) ou en compétition (situation de course, groupe à accrocher).

Formation des Pilotes :

Comment ASLAA forme-t-elle ses pilotes pour s’assurer qu’ils sont bien équipés pour guider les cyclistes malvoyants ou non-voyants ? Y a-t-il des compétences ou des qualités spécifiques que vous recherchez chez les pilotes ?

Candide Codjo : En tandem, les pilotes que nous cherchons doivent avoir un profil : membre d’un club cycliste, être déjà passé par ce biais ; nous évitons de prendre des débutants car cela pourrait être dangereux. En tandem, dès l’instant qu’un pilote maîtrise les départs et les arrêts, le reste, c’est du vélo. Il me paraît important d’avoir de bons bras pour tenir le poids de deux personnes en mouvement sur route ou circuit.

Christophe David : Un cycliste expérimenté, c’est à dire habitué d’une part à utiliser des pédales automatiques (pied fixé à la pédale) et d’autre part habitué à rouler en peloton, s’adapte très rapidement à la conduite d’un tandem. Il doit toutefois prendre en compte deux éléments : la moindre maniabilité du vélo, des temps de réaction plus longs (plus d’inertie) et une vitesse sur le plat supérieure à celle d’un vélo solo. La sécurité est bien sûr la préoccupation permanente du club. Quand un nouveau pilote arrive au club, il suit une ou deux séances d’initiation sur une piste sans véhicule. C’est très rapide s’il a les prérequis évoqués plus haut.

Défis Organisationnels et Soutien :

Crédit Photo : ASLAA

Quels sont les principaux défis auxquels ASLAA fait face en termes d’organisation, de financement et de logistique ? Comment les particuliers et les entreprises peuvent-ils soutenir votre mission ?

Christophe David : Le club dispose de deux remorques, l’une couverte l’autre pas, ce qui lui permet de se déplacer sur les compétitions ou lors des week-end loisir. La difficulté se situe plutôt en amont. Une pratique sportive du vélo implique des sorties d’au minimum deux heures, plus souvent trois heures. S’ajoute à cela le temps de déplacement pour se rendre au club, la préparation des tandems (les couples peuvent changer d’un week-end à l’autre, il faut ajuster les selles, les guidons). En conséquence, certains pratiquants, pilotes comme déficients visuels, trouvent l’activité trop chronophages.

Compétitions et Événements :

Pouvez-vous nous en dire plus sur les compétitions et les événements organisés par ASLAA ? Quelle est leur importance pour les participants et pour l’association ?

Christophe David : L’ASLAA organise tous les ans une course à l’hippodrome de Longchamp qui a la particularité de réunir dans la même épreuve des cyclistes valides, des cyclistes solos ayant divers handicaps et les tandems. Cela donne une couleur assez festive à la compétition, avec toujours pour enjeu, qu’un tandem remporte la course face aux solos. Lors de cette compétition, une épreuve spécifique de handbike (vélo couché propulsé par les bras) a également lieu.

Crédit Photo : ASLAA

Projets Futurs et Objectifs :

Quels sont les projets futurs d’ASLAA ? Y a-t-il de nouveaux objectifs ou initiatives que vous souhaitez mettre en place dans les prochaines années ?

Candide Codjo : Le club compte participer au défi Lyon-Paris du 24 au 28 août prochain, organisé par nos amis du Tandem club rhodanien. Il s’agit, à l’occasion des JO de Paris paralympiques, de rallier Paris depuis Lyon.

Christophe David : L’ASLAA souhaiterait attirer davantage de jeunes déficients visuels. Le tandem est particulièrement bien adapté à ce type de handicap : il permet, pour ceux qui sont motivés, d’atteindre des performances comparables à celles des valides. Mais comme d’autres clubs, l’ASLAA est confronté à la difficulté de fidéliser ses membres pour une pratique hebdomadaire et en toutes saisons. L’ASLAA veut aussi s’ouvrir à davantage de propositions : participer à des sorties cyclotourisme organisées par d’autres associations, organiser davantage de sorties sur un weekend complet pour découvrir d’autres régions. Cela demande bien sûr une logistique un peu plus lourde.

Message aux Lecteurs :

Quel message voudriez-vous transmettre aux lecteurs de notre blog qui pourraient être intéressés par le tandem ou qui souhaiteraient soutenir ASLAA ?

Christophe David : Pour ceux qui pratiquent déjà le vélo de façon un peu sportive, rejoindre l’ASLAA et découvrir le tandem c’est la garantie d’une ambiance amicale. On rigole bien sur le vélo, on discute (sauf quand la pente est raide) et l’on découvre de beaux paysages.

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