Actualités

Dans la jungle de la trottinette

Temps de lecture : 4 minutes

Dans la jungle de la trottinette

Une tribune d’Alexis Zerbib, fondateur de Cyclofix.

Réparer une trottinette, comment vous dire, c’est galère. Très souvent. Et je suis poli. Imaginez une seconde que votre garagiste doive retirer le moteur de votre voiture pour remplacer un essuie-glace. Vous y êtes ?

A l’heure où un projet de loi pour une économie circulaire pointe le bout de son nez, reniflant de nombreux sujets à enjeux pour notre époque (consigne, bonus-malus selon la performance écologique, financement de la gestion des déchets, etc), votre serviteur s’est penché sur l’un d’eux, qu’il connaît plutôt bien : le droit à réparer. Et plus spécifiquement : le droit à réparer la trottinette made in quelque part in China. La trott’, un objet-sujet hautement explosif par les temps qui courent, à bien des égards. Mais soyons clairs, Cyclofix ne s’inscrit pas dans une bataille de chapelles. Moi non plus.

Nous préférons nous battre pour promouvoir une mobilité en laquelle nous croyons, dès lors qu’elle est douce.

Ainsi donc, je fuirai comme un diabétique un pot de Nutella les problématiques de circulation qui font rage en France. Le décor est planté.

Revenons à nos moutons.

Il n’y a pas si longtemps, 3 mois tout au plus, j’étais persuadé que les réparateurs partenaires de notre réseau pourraient mettre leurs outils et leurs compétences au service des usagers de la trottinette, comme ils le font si bien depuis 3 ans maintenant pour les cyclistes. Et ils l’ont fait. Ils sont allés se frotter à des engins nouveaux, au risque de s’y casser les dents ou de passer de longues heures à essayer de résoudre un problème insoupçonné. Résultat des courses : des cheveux arrachés, des nerfs en crise, des journées de travail pas toujours rentables. Et surtout, un certain ras-le-bol pour le marché actuel de la trottinette.

Le marché de la trott’ est en plein boom, certes, mais il risque de rapidement exploser, en faisant au passage quelques victimes collatérales : les propriétaires de trottinettes en premier lieu, et surtout ce qu’on appelle désormais la “planète”, qui aura beaucoup donné pour assurer la production de ces engins jetables.

Je vous dresse le tableau. En 2019, c’est un peu le fast food de la trott’.

Comprenez : les éléments qui composent vos bolides ne sont absolument pas pensés pour un quelconque SAV.

Exit la vision à long terme. Bon, j’exagère (à peine). Hormis de rares marques qui réfléchissent aux pièces détachées, dans la plupart des cas : ça produit, ça assemble en dépit du bon sens. Des trottinettes neuves, rien d’autre. Entre produire une nouvelle trottinette dans une usine à pétaouchnok et payer la main-d’oeuvre d’un technicien qualifié français, le choix est vite fait.

On ne répare pas, on remplace, ça coûte tellement moins cher.

Et c’est là que ça devient drôle. D’ailleurs, pourquoi est-ce si peu cher de produire une trottinette électrique ? Parce que dans de nombreux cas le cahier des charges est au moins aussi light qu’une feuille de salade.

Autrement formulé : on fait avec ce qu’on a sous la main.

La même trottinette est composée un jour du contrôleur électrique A, le lendemain du contrôleur B, selon ce que bibiche veut écouler sur la chaîne de montage. Les deux contrôleurs “font le taf”, comme dirait un de nos anciens stagiaires, mais quand vient le moment de le remplacer, le contrôleur que vous aviez stocké s’avère incompatible, et vous êtes bien embêtés pour savoir quoi commander. Et je ne parle pas de la colonne de direction, dont la conception est assez souvent hasardeuse…

Bref, dans le joyeux monde de la trott’, pas grand chose a été conçu pour qu’une réparation puisse être rentable, ou juste simple à opérer, la priorité constructeur n’étant pas — le plus souvent — de renseigner le technicien qualifié sur la marche à suivre.

Deux trottinettes d’une même marque et d’un même modèle sont donc identiques sur le papier, mais différentes en réalité.

Autant dire que même le plus patient et déterminé des réparateurs ne peut gérer cette complexité. Ou si, remarque, mais à un prix qui ne satisfera pas le propriétaire de ladite trottinette.

Poursuivons.

Bien sûr, je me dois d’être pragmatique. Ces engins existent, se développent — je m’en réjouis ! — et Cyclofix fait chaque jour son maximum pour les réparer parfaitement : afin d’assurer la sécurité de nos chères têtes blondes qui les chevauchent, d’augmenter leur durée de vie et d’éviter de les retrouver dans une poubelle ou au fond d’une cave quelques semaines seulement après avoir été produits.

Alexis Zerbib (CEO) et Jérôme Li (Responsable technique)

Néanmoins, notre rôle est également de mesurer avec précision les efforts à accomplir pour le faire : la micro-mobilité est un combat auquel nous croyons. Mais pas à n’importe quel prix. Alors non, je ne demanderai pas à mes équipes d’explorer le web pour trouver l’obscur faisceau électrique qui va permettre de sauver 15 jours la pâle copie de trott’ que j’ai entre les mains.

Finalement, ce que je souhaite est simple. C’est même la raison d’être de Cyclofix et de nombreux autres acteurs de la mobilité : concentrer nos forces sur du durable plutôt que de s’épuiser sur de l’éphémère.

Étoffer le projet de loi sur l’économie circulaire pour nous donner une chance d’inverser la tendance (vous trouverez d’ailleurs ici de modestes suggestions : Lettre à Edouard Philippe). Construire un monde axé sur une micro-mobilité saine et exempt de surconsommation. Rouler sans bousiller la planète quoi. Ce serait le début de solides fondations.

Il ne vous reste plus qu’à rouler prudemment.

Bisous

Alexis Zerbib,
CEO de Cyclofix

Suivre les commentaires
Notification pour
guest
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires